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Étienne Maurice Falconet à Saint-Pétersbourg

«Il est vrai, Monsieur, qu’il était réservé à Catherine II de rendre, par un monument éternel, le nom de Pierre le Grand durable dans les cœurs de tous mes compatriotes. Il est vrai aussi qu’il était de même réservé à Monsieur Diderot d’y coopérer en fournissant à la Russie l’homme capable de seconder ses vues.» Ces mots adressés à Diderot par le général Betzky, le Directeur des Bâtiments de Catherine II, évoquent les principaux personnages ayant participé à la création du Cavalier de bronze. L’homme «capable de seconder les vues de l’impératrice», sera Etienne-Maurice Falconet. «Ami de cœur» de Diderot, qui l’a recommandé à Catherine II en le présentant comme «un homme qui pense et sent grandement», Falconet avait en effet besoin d’un grand pays, d’un grand projet et d’un grand mécène.

Sculpteur réputé, élève de Jean-Baptiste Lemoyne, protégé de Madame de Pompadour et travaillant à l’atelier de la Manufacture de Sèvres, cet homme, à cinquante ans, décide de «quitter son paisible foyer, la maison qu’il a lui-même bâtie, les arbres qu’il a plantés, le jardin qu’il cultivait de ses propres mains» pour aller à Saint-Pétersbourg. En 1766, par une très belle journée d’août, accompagné d’un de ses ouvriers ainsi que d’une jeune personne de 18 ans, Falconet quitte la France sur un bateau au nom prédestiné l’Aventure. La jeune personne en question s’appelait Marie-Anne Collot: c’était l’une des élèves de Lemoyne que Diderot appelait «mademoiselle Victoire». Encore tout enfant, elle avait commencé à «manier la terre et le ciseau de ses mains délicates» et elle se révélera être un sculpteur redoutable. C’est elle qui réalisera la tête de Pierre le Grand du Cavalier de bronze, d’après son masque mortuaire, exécuté par Rastrelli. Falconet voyait le tsar sur un «cheval fougueux, gravissant [un] rocher escarpé » ; il en avait même réalisé un modèle réduit à Paris.

Pour Diderot, c’était trop simple. Si Falconet avait suivi ses conseils, voici le monument que l’on aurait pu voir à Saint-Pétersbourg : le Cavalier et le cheval fougueux seraient posés sur un rocher escarpé, d’où sortiraient des nappes d’eau limpide se réunissant dans un bassin «rustique et sauvage». Le Cavalier chasserait devant lui la Barbarie aux «cheveux à demi-épais, à demi-nattes, le corps couvert d’une peau de bête», qui le menacerait, mais serait assisté d’un côté par «l’Amour des peuples», les bras levés vers lui, et de l’autre par la Nation, calmement étendue sur le sol. Falconet répondit tout net: «La Barbarie, l’Amour des peuples et le symbole de la Nation n’y seront pas. […] Pierre le Grand est lui-même son sujet et son attribut. Il n’y a qu’à le montrer. » Ce qu’il fit avec génie. Restait à trouver un emplacement à la statue. Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer le monument placé devant le Palais d’Hiver, ou sur l’île Vassilievski, comme cela fut proposé. Une autre suggestion fut même de le dresser sur un podium installé face à la Neva. Pierre le Grand aurait, d’un œil, surveillé l’Amirauté avec tout l’Empire derrière, et de l’autre l’île Vassilievski et les terres reconquises. Falconet répondit que c’était certainement possible, à condition que le tsar soit affligé d’un fort strabisme. Et le Cavalier de bronze se trouve là où il devait être, sur la place des Décembristes (ancienne place du Sénat).

Au début de 1768, Falconet commença à travailler sur le monument. Il voulait saisir l’instant précis où, vigoureusement tenu par son cavalier, le cheval fougueux se cabre. Il fit ériger un gros monticule de terre et demanda au général Melissimo, qui avait la taille et la carrure de Pierre le Grand, de le gravir au galop en faisant cabrer le cheval au sommet. Il fit recommencer l’exercice au général des centaines de fois. Pour le «rocher escarpé», on découvrit à Lakhta, aux environs de Pétersbourg, une grosse roche appelée Tonnerre, qu’une légende rattachait au tsar: c’est en effet de là qu’observant le pays, Pierre le Grand aurait choisi l’emplacement de sa capitale. Pas moins de quatre cents hommes se relayèrent pendant neuf mois pour tirer cet énorme bloc posé sur une charrette de cuivre, qui se déplaçait à l’aide de boules roulant sur des chêneaux.

Catherine II en personne vint assister à l’opération, et fit frapper une médaille commémorative de l’événement en 1770, année de la mise en place du piédestal. Remodelé d’après un dessin de Velten, le monolithe fut considérablement réduit. Il fallut encore douze ans pour que le monument soit entièrement réalisé, représentant finalement un cavalier sur un cheval cabré, gravissant une montagne escarpée, avec un serpent tentant d’arrêter les pas du cheval. On veut voir dans le serpent le symbole de l’envie, «mais cette idée n’est pas heureuse car, dans le fait, ce n’est pas l’envie qu’un souverain peut redouter : ceux qui rampent ne sont pas ses ennemis », remarquait Madame de Staël. En réalité, le serpent servait à équilibrer le monument. Catherine II l’inaugurera en 1782, pour le vingtième anniversaire de son règne. Diderot avait proposé qu’on y plaçât une inscription où il était question de la Vaillance qui avait jeté ce rocher aux pieds du héros. Falconet proposa plus simplement : « A Pierre Ier, édifié par Catherine II». L’impératrice épura encore la formule: «A Pierre premier, Catherine seconde, 1782». L’inscription figure en russe du côté de  l’Amirauté et en latin du côté du Sénat:

Petro primo Caterina secunda MDCCLXXXII En quatre mots, «l’impératrice a su dire ceci: Tu étais grand, je suis grande. Tu avais du génie, j’ai du génie. Tu étais puissant, je suis puissante. » Si Pierre restait incontestablement le premier souverain de la nouvelle Russie, elle en était aussi sûrement le second. Quant à Falconet, il n’a pas assisté à l’inauguration de son monument. Malade, il dut quitter Saint-Pétersbourg, où l’avait entraîné «le talent, et […] le désir de s’immortaliser par une grande et belle chose», pour retourner en France en 1778. Paralysé quelques années plus tard, il mourut en 1791 à Paris dans son appartement de l’île Saint-Louis.

Extrait du livre de Natalia Smirnova « Saint-Pétersbourg ou l’Enlèvement d’Europe » – Éditions Olizane 1999 Genève – Avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur.

Étienne Maurice Falconet à Saint-Pétersbourg

par | 1 Jan 2000 | 0 commentaires

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